Saga Robin épisode #7 – La Métallerie

Par NoPe Reportages 2 commentaires sur Saga Robin épisode #7 – La Métallerie

On sonne la cloche chez Robin: une nouvelle commande vient d’arriver, un petit nouveau va bientôt prendre vie.
La commande passe instantanément au tamis du système informatique maison qui la décompose en une nébuleuse d’OF, les ordres de fabrication. Les imprimantes chauffent et tous les « OF » affluent un peu partout dans les ateliers. Ces feuilles volantes par centaines détaillent le déroulement millimétré des opérations demandées à chaque atelier, chaque équipe, chaque ouvrier. Les OF pleuvent sur Darois et font rapidement pousser les pièces de bois qui vont s’assembler pour former les traits les plus reconnaissables du DR401: sa cellule et son aile. Mais si la vedette est bien le bois, il n’atteindra jamais les nuages sans métal.
D’ailleurs, suivons ce paquet d’OF qui traverse l’immense atelier de montage où convergeront bientôt toutes les pièces nécessaires à l’assemblage de l’avion commandé.

Le paquet descend l’escalier en colimaçon dans les mains de Didier. Il traverse un rideau de bandelettes de plastique et l’incroyable cacophonie qui nous parvient alors ne laisse pas de doute: on détoure, découpe, scie, fraise et soude, on embase, tourne, perce et poinçonne… Nous sommes bien dans la métallerie CEAPR.
Le paquet de feuilles longe le magasin, le contrôle, traverse l’atelier en zigzaguant entre les planeuses, les plieuses et les cintreuses. Ça fleure bon l’huile et la soudure, ça fait des étincelles. Puis le paquet monte quelques marches pour pénétrer dans le bureau du chef d’atelier. Et le chef d’atelier, c’est justement Didier.

Il y a deux ou trois générations de clés pendues au mur du bureau, elles ouvrent toutes les portes et allument toutes les machines. Les armoires débordent de plans et d’archives. C’est dans cette pièce que chaque OF du paquet se démultiplie comme par miracle: un ordre de fabrication de train avant de DR 401 se décompose par exemple en trois ordres de fabrication distincts comprenant le caisson, la jambe et la tige de blocage. Trois OF qui eux-mêmes se décomposent en des dizaines d’opérations. Il y a généralement en cours cinq ou six cents ordres de fabrication à la fois, non seulement pour contribuer en direct à la fabrication des avions qui sortent de l’usine Robin chaque mois, mais aussi pour alimenter en pièces détachées le parc mondial d’avions Robin.

Autant dire qu’on ne s’ennuie pas.
Et tout va même très vite. Les OF sont distribués petit à petit aux gars de la métallerie qui savent, presque tous, faire presque tout sur presque toutes les machines-outils. Le tempo est donné par le bruit des mains et des machines qui coupent, tapent et raclent tout ce qu’il y a de métal à plier aux désirs de chacun.

Alors suivons au hasard cet OF-là qui prend la direction du fond de l’atelier dans les mains de Dimitri, le bras droit de Didier.
Dimitri ralentit au niveau d’un four colossal qui ressemble à un ascenseur de palace oublié, vérifie l’OF, puis s’arrête devant une grande cage dans laquelle sont entreposés des centaines de longs tubes de différentes tailles et de différents alliages. On croirait un gigantesque orgue renversé.

Il choisit quelques tubes, puis note consciencieusement les mesures à même le métal et se dirige vers la tronçonneuse. Il consulte à nouveau l’OF puis débite avec une précision parfaite une dizaine de tronçons de différentes tailles. Les étincelles fusent et le tube raccourcit petit à petit jusqu’à devenir un jeu de petits tuyaux prêts à être usinés. Puis le jeu est ébavuré et dégraissé avant que l’OF ne passe dans les mains d’Abdel qui reprend le flambeau pour biseauter façon « gueule de loup » les extrémités des tubes. Ensuite, Abdel traverse l’atelier, passe devant le bureau et les postes de soudure où il laisse le jeu de tubes, longe des étagères qui débordent de toutes sortes de pièces fraichement usinées et de patrons encore chauds des coups de marteau.

Il parvient finalement au niveau des lourdes tourneuses-fraiseuses en ligne pour donner l’OF à Bouboule. Bouboule c’est Bruno. Et Bruno, c’est trente-trois ans d’ancienneté et aucun problème, que des solutions. Alors Bruno retraverse l’atelier pour aller débiter les longues feuilles de métal en forme de « L » qu’on appelle des cornières. Puis il revient à ses tourneuses-fraiseuses, tourne, fraise, puis perce les embases afin d’y ménager des espaces destinés aux vis et autres boulons. Ensuite, sans même revérifier l’ordre de fabrication, il se charge de « guillotiner » une feuille de tôle en huit morceaux qu’il passe à la rouleuse pour obtenir huit moitiés de supports bobines. Après cela, il s’élance d’un pas très sûr en direction de l’énorme presse hydraulique qui ressemble à un mausolée païen. Cette presse impressionnante est le plus souvent opérée par Sokan qui se charge donc d’emboutir les demi-supports à coups de caoutchouc rigide pour les boudiner à un degré bien précis avant de les envoyer rejoindre les tubes et les embases à la soudure. L’OF atterrit dans les mains de Tataye qui semble déjà le connaitre par coeur. Il tire quelques tiges de métal d’apport comme il tirerait des flèches d’un carquois, puis abaisse son masque et commence son office.

Il soude au TIG les huit moitiés roulées et embouties pour en faire quatre supports-bobine auxquels il soude ensuite les dix tubes biseautés dans un style très « tour Eiffel ». Au bout de son pistolet de soudure, une étoile éblouissante dégage une mince fumée bleue en grésillant. Les composants se solidarisent miraculeusement, la structure prend forme. Il soude ensuite les embases qui permettront de fixer ce bâti-moteur à l’avant de la cellule. Quand on sait que le bâti-moteur doit non seulement supporter le poids vertical du moteur et de tous ses accessoires mais également l’effort de torsion appliqué par la rotation de l’hélice ainsi que celui de traction des six cents kilos de bois et de métal qu’il doit faire voler, sans oublier les puissantes vibrations des 120, 160, 180 ou 200 chevaux; quand on sait tout ça on comprend l’importance de la précision lors de ces opérations de fabrication et de soudure où chaque gramme compte…

Totalité des pièces d’un bâti-moteur sortant de la métallerie

Et voilà un OF d’exécuté qui retourne dans le bureau du chef d’atelier alors que le bâti-moteur part au contrôle pour être inspecté par Kevin avant d’être envoyé en peinture, de revenir à nouveau se faire contrôler, puis d’être mis en stock à la disposition des monteurs de l’atelier du dessus.
Pendant ce temps, dans le bureau, Didier consulte la hiérarchisation des priorités établie par le système informatique pour le recouper avec ce qu’il sait de la spécialisation et du temps disponible de chacun de ses gars. Il imprime d’autres OF et les passe à Dimitri qui sort du bureau, slalome de Laurent à Eric, de Patrick à Antoine. Et ces derniers de se propulser dans toutes les directions une fois leur OF en main, se déployant vivement vers les molleteuses, les grugeoirs, les cintreuses à tubes et autres scies à rubans.


Les visages amicaux des vénérables machines de fabrication française ont parfois l’air surpris de cohabiter depuis si longtemps avec des hommes aux visages sereins qui, eux, ne se laissent jamais surprendre et se déplacent entre les gerbes d’étincelles et les câbles d’alimentation comme dans leur propre salon.
Certains d’entre eux sont là depuis plus de trente ou quarante ans… D’autres depuis moins de cinq. C’est le mélange des générations typique des ateliers de Darois, où le savoir-faire se superpose, se mélange et se transmet de la main à la main.

On entend toujours les tronçonneuses tronçonner, les perceuses percer, les plieuses plier, les détoureuses détourer et les hommes se marrer à des blagues dont le sens nous est caché si l’on n’est pas chaudronnier, métallier ou tôlier. Pendant ce temps, dans notre dos, un autre OF quitte le bureau dans les mains de Patrick. Patrick vient juste de débiter des feuilles avec l’énorme guillotine qui doit mesurer un DR401 de large et en peser trois ou quatre. Ses feuilles métalliques sont déjà couvertes des mesures notées à la main. Dans l’intimité de « l’isoloir », il actionne le long et lourd bras articulé de la détoureuse pour trouver les justes arrondis. Il a l’air de faire de la dentelle, mais le bruit indique sans détour qu’il détoure bien de métal. C’est probablement pour ça qu’on appelle tout ça de la tôlerie fine.


Tout ce travail de précision donne vite six morceaux aux angles soignés, six nervures bien distinctes qui sont envoyées avec l’OF en direction de Sokan qui doit les emboutir à la presse pendant qu’à l’autre bout de l’atelier, Antoine fignole l’enroulé d’une fine feuille de tôle sur la plieuse Bombled.

La (très) grande guillotine

Cet enroulé trapézoïdal, c’est bien sûr celui de l’enveloppe du réservoir. Elle a été percée en divers endroits, le long de six lignes parallèles, pour accueillir les rivets qui la joindront aux nervures intérieures et extérieures. Quelqu’un a par ailleurs ménagé au préalable des ouvertures pour faire place au tube de passage des câbles et aux conduits de remplissage et de distribution. Entre temps, l’OF est revenu dans les mains d’Eric dit Cheucheu, qui a terminé de rouler le fameux tuyau de passage. Il s’attelle maintenant à l’embaser des deux côtés, au marteau et au millimètre près, pour qu’il puisse ensuite être soudé définitivement.
Le métal semble se plier aux ordres sans jamais grincer.

Totalité des pièces du réservoir, enveloppe comprise

Nicolas peut donc commencer à riveter les nervures intérieures à l’enveloppe. Elles sont toutes dotées d’un trou afin de juguler le passage du carburant d’un côté à l’autre du réservoir sans risquer de déséquilibrer l’avion en ballotant brutalement. Ce réservoir ne pèse que six kilos une fois terminé, mais il peut contenir 109 litres d’essence, ce qui représente à peu près un huitième du poids de l’avion prêt à décoller…
Pour finir, Nicolas rivète les nervures extérieures puis suit avec son TIG la ligne de soudure de l’enveloppe avant d’envoyer le réservoir au contrôle et l’OF exécuté sur le bureau de Didier qui peut solder celui-ci aussi.
Toutes ces pièces qui s’accumulent sont comme des organes en formation dans un foetus dont l’enveloppe n’est pas encore formée. L’énergie est concentrée sur une opération à la fois pour que tout soit bien fait et que le « nouveau-né » vive non seulement bien mais aussi le plus longtemps possible.

Maintenant, arrêtons nous un instant et laissons ce ballet se dérouler autour de nous. Écoutons le battement du coeur de l’atelier, celui des machines et des pieds. Regardons seulement les plans de travail et plongeons-nous dans le savoir-faire stratifié qui s’y lit: des formes abstraites, traces du passage des outils à même la table, emportant un peu de sciure avec la limaille, brûlant un peu de bois sous le métal. Tout ce travail, chaque jour, abattu par chacune de ces mains, pour transformer de simples feuilles et de simples tubes en volets, en butées, en coudes, en tiges, en équerres, en compas, en goussets, en supports, en bâtis, en silencieux, en échappements, en tableaux de bord, en réservoirs, en boites à air, en structures de verrière, en déflecteurs, en trains, en sièges, en palonniers, en poignées, en manches… Et tout cela multiplié par autant de modèles de Robins et autant de motorisations différentes.

Rassemblement informel de pièces dans l’atelier de montage à l’heure de la pause café.

Si certains de ces avions volent d’ailleurs depuis cinquante ans, c’est grâce à cette métallerie qui fait vivre l’héritage Robin en continuant à fournir les pièces de rechange indispensables à la poursuite de ces records de longévité. Une magnifique responsabilité et un sacré signe de qualité.
Cela fait soixante-trois ans que la métallerie voit défiler des générations d’ouvriers qualifiés. Dans cet atelier, les machines occupent si totalement l’espace entre le sol et le plafond qu’on pourrait croire qu’elles en sont les piliers. Mais il n’en est rien. Ici, depuis toujours, les piliers sont les hommes.
Didier, le chef d’atelier, pense d’ailleurs que chacun de ses gars a conscience de la chance de travailler dans un tel environnement tout en progressant quotidiennement au contact de l’exigence aéronautique.

Tout a l’air à la fois très humain et très mécanique, tout est maitrisé: des gestes aux trajectoires en passant par les pièces qui, de loin, paraissent avoir été fabriquées par des machines automatisées. Mais de près, on voit bien qu’elles présentent les très légères irrégularités qui, si elles ne cèdent en rien à la perfection, rappellent que tout ce travail est fait par des mains bien formées, reliées à des têtes bien faites, dévouées au maintien de l’excellence des avions Robin.
C’est peut-être aussi ce qui explique que ces avions soient si vivants… Le bois les fait voler, mais c’est curieusement tout ce métal qui les fait décoller. Le DR401 ne peut naître que du travail d’équipe. Il ne peut s’approcher de la perfection que par l’effort conjugué des ateliers Robin et CEAPR pour faire collaborer le bois et le métal.

Le petit dernier, commandé ce matin, ne verra le jour qu’au bout d’un bon paquet de journées comme celle-ci: après bon nombre de ces courses où l’informatique passe le relais à nos mains « tout-équipées ».

Ce n’est pas une cloche qui résonne cette fois-ci, c’est un signal sonore: fin de journée. La métallerie se vide doucement, quelques plaisanteries sont lancées qui dérident les visages jusque là très concentrés. La cacophonie s’évanouit, les néons s’éteignent pour la nuit.
Bientôt il ne reste que le goutte-à-goutte de la grande scie à ruban et la lumière dans le bureau de Didier pour nous confirmer que le temps ne s’est pas arrêté. Soixante-trois ans que ça dure, et ça ne fait que commencer.
Demain à huit heures, ce grand ballet aura déjà redémarré.

  • Partager:
2 commentaires
  • GENTON Martial
    Posté le 17/07/2020 à 17 h 38 min

    Mr ROBIN: un petit bout de film s’il vous plait……

    Répondre
  • MUZEAU
    Posté le 18/07/2020 à 6 h 29 min

    Bonjour à tous, Pilote privé depuis quarante ans et totalisant plus de 2100heures de vol sur une trentaine d’avions, je viens vous dire ma reconnaissance sur le travail accomplie depuis le début de la saga ROBIN. J’ai piloté en grande partie la gamme Robin, encore aujourd’hui je vol sur Jodel et DR 400 160cv et 180cv Régent avec PA. Continuer à construire un avion de légende pour former les pilotes les plus jeunes au moindre coût. Encore bon courage à vous que je connais bien. Aujourd’hui, j’ai une pensée à une légende de l’entreprise monsieur Thomas qui est partie bien trop tôt, avec qui j’avais tissé un lien fort, surtout lors de visites avec les élèves du BIA que nous formons. Avec mes salutations aéronautiques.

    Répondre

Laisser un commentaire