Carnet de voyage d’un entrepreneur made in France.
Entrée #1 : 29 octobre 2020
On dit que Robin Aircraft a connu son apogée dans les années 70. Mais je crois que c’est se tromper de débat. Car ce serait parler seulement d’une apogée économique et financière en oubliant ce qu’est vraiment une aventure: non pas le sommet mais le voyage.
Oui, la vraie question, c’est le voyage. Et ce voyage, il s’écrit chaque jour sous nos yeux, ici à Darois. Dernier fabricant d’avions en bois au monde, beaucoup nous ont longtemps prétendu en retard. Et pourtant c’est aujourd’hui, en 2020, que tout le monde s’aperçoit que nous étions en avance depuis le début.
Je crois en fait que Robin Aircraft rencontre son époque. Car le retour progressif de notre pays aux valeurs durables du travail manuel, des matières nobles et de l’éthique entrepreneuriale nous place une nouvelle fois au bon endroit au bon moment.
Le bon endroit, c’est Dijon-Darois, en Bourgogne. Là où l’usine s’est enracinée en 1957, là où la famille Robin a fondé une dynastie d’artisans aéronautiques et là où trente-et-un ans plus tard, nous avons repris ce flambeau. Depuis soixante-trois ans, la flamme ne s’est donc jamais éteinte. C’est toujours à Darois que se transmettent la passion et le savoir-faire, des pères aux fils, génération après génération, et dans tous les secteurs de l’entreprise.
Et puis le bon moment, il est clair que c’est maintenant. Parce que c’est le moment d’une réaction globale contre les bullshit-jobs et le profit à tout prix. Parce que c’est aussi le moment d’une sérieuse remise en question des délocalisations et de la déqualification du travail. En fait parce que beaucoup veulent maintenant revenir un peu en arrière pour pouvoir repartir franchement de l’avant. Voilà pourquoi nous sommes très, très fiers de n’avoir pas à nous transformer profondément pour être parfaitement d’actualité.
Et il faudra aussi compter sur nous pour l’avenir.
Oui, nous fabriquons encore et fabriquerons toujours des avions en bois. Parce que depuis que l’humanité a décidé de voler, de Léonard de Vinci à Pierre Robin en passant par tous les autres, le bois a toujours été son meilleur allié. Une croyance associe pourtant de nos jours l’avion à l’acier. C’est probablement le résultat des innombrables carlingues volantes dont la deuxième guerre mondiale exigea qu’on les fabrique en hâte, en nombre et à moindre coût. Sans compter qu’à la fin de cette guerre, les compagnies aériennes offrirent un débouché indispensable au secteur « en plein boum » de la métallurgie aéronautique. Pourtant, se croire plus en sécurité dans un avion en métal que dans un avion en bois, c’est à peu près aussi pertinent que de se croire plus en sécurité sur l’autoroute que dans le ciel.
Le bois et l’avion, ce n’est pas un mariage de raison. C’est un mariage d’amour. Un amour qu’on célèbre depuis toujours dans nos ateliers. Alors bon, passons rapidement sur l’aspect éminemment écologique du matériau et disons simplement qu’à l’instar du roseau, il a pour lui le sens du vent, et qu’à l’inverse du métal, il sait plier sans rompre. Plus léger et plus vivant, le bois vole mieux, flotte mieux, vieillit mieux et pousse pour ainsi dire aux arbres…
Mais non, bien sûr, il n’est pas question de se comparer aux constructeurs d’avions de ligne ou de guerre. Nous sommes seulement Robin et Robin restera toujours Robin: une entreprise française et familiale, fabriquant avec les mains et le coeur des avions formateurs destinés aux grands amateurs de passion au long-cours. Mais tout cela a un prix. Travailler le bois coûte cher et encore faut-il savoir le faire.
À cet égard, le savoir-faire de nos artisans aéronautiques est d’autant plus précieux qu’il est rare. Il s’est d’ailleurs tant perdu ces dernières années que, chez nous, on le transmet carrément de la main à la main. Robin est comme un village: nous nous rêvons irréductibles, résistant encore et toujours à l’émiettement de nos forces vives, mettant nos têtes, nos coeurs et nos mains à l’ouvrage pour préserver l’équilibre, pour continuer d’exister sans renier ce que nous avons toujours été. Je vous la fais courte, mais la liste des métiers qui collaborent à notre renommée est un régal à dérouler: menuisiers, tôliers, chaudronniers, ébénistes, entoileurs, tourneurs-fraiseurs, soudeurs, ingénieurs, câbleurs, monteurs, mécaniciens, électro-techniciens, ajusteurs, selliers, peintres et autres pilotes d’essais… Tout un monde, vous voyez, pour fabriquer intégralement cet avion conçu il y a un demi-siècle et dont certains exemplaires volent depuis tout ce temps.
Ce sont donc des mains qui les assemblent car ce seront toujours des mains qui les piloteront.
Faire décoller un de nos DR401, c’est d’ailleurs prendre sa vie en main: se retrouver dans les nuages, faire corps avec sa machine, comprendre ses vibrations, écouter son coeur, synchroniser ses battements au rythme du moteur, voir toujours plus loin sans vouloir aller plus vite, prendre le temps du voyage plutôt que de se dépêcher d’arriver.
Tiens, je vais le redire, mais autrement. Ça me permettra de conclure que cette entreprise se pilote comme les avions qu’elle fabrique: voir toujours plus loin sans vouloir aller trop vite, apprendre du voyage plutôt que de se dépêcher d’arriver.
Voilà en quelque sorte notre conception du made in France. Mais il ne suffit pas de le faire savoir. Il faut surtout pouvoir continuer à le faire. Pour cela, nous devons coller au plus près de notre époque, être conquérants, défendre nos valeurs en les tournant vers l’avenir.
Le rajeunissement progressif de nos équipes au fil des départs en retraite, ces trois dernières années, nous en promet d’ailleurs un radieux, d’avenir. Car ce processus de recrutement méticuleux a permis de réveiller un bouillonnement d’idées, d’ambitions et de projets adossés à une histoire déjà solide. Une nouvelle impulsion vers le futur…
J’y reviendrai très bientôt. Mais pour le moment, on a tous du pain sur la planche.
à suivre…
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